mardi 6 octobre 2009

Desperate Singers : une critique



Et quelle critique !!
Merci à Mercy Seat (http://www.discordance.fr) pour ce compte-rendu flamboyant !

Il y a toujours quelque chose de pathétique et de dérangeant dans les hommages faits aux chanteurs morts : trop souvent sacrifiées sur le sacro-saint hôtel de la mémoire intouchable, ces soirées peuvent très vite se transformer en rassemblement de clones grimés à outrance qui, les yeux rivés sur un grand écran, braillent approximativement sur « ces plus grand tubes rien que pour vous ».

Théatre des Bouffes du Nord - Lundi 28 septembre / Festival d’Ile de France

Et bien penser cela c’est se fourvoyer grandement sur l’aura magnétique de Klaus Nomi et l’héritage foutraque qu’il laisse derrière lui. Avec son Oratorio Burlesque et Tragique, l’ensemble classique Télémaque donne pour le chanteur un requiem baroque et brechtien, décalé et raffiné, et en tout les cas à la hauteur.

L’homme à la tête de clown

Déjà, Klaus Nomi, c’est qui ? C’est quoi ? C’est quand ? Klaus Nomi c’est cet extraterrestre synthétique qui, un jour parachuté dans le New York bouillonnant des années 80 décide de mettre sa voix de contre-ténor au service du Rock, et son âme au service de son art.

Klaus Nomi c’est aussi ce clown triste au regard plastique qui allie la rigueur glacial de l’électro, à la mélancolie profonde de la renaissance et l’ironie mordante du cabaret. Qui a dit bizarre ?

Space Odditty

C’est cette « étrangeté spatiale », que l’ensemble Télémaque retranscrit sur scène avec une subtilité déconcertante : le visage grimé comme des clowns blancs, vêtus de tenues dépareillées qui rappellent autant la cour du Roi Henri VIII que le Kit Kat Klub de Berlin dans les années 30 (robe de mise pour les femmes comme pour les hommes), ils transgressent sans strass, ni épaulette, les barrières que Nomi se faisait un plaisir de briser : les hommes chantent comme des femmes, les femmes jouent comme des hommes, on joue du piano comme on jouerait de la guitare et la contre basse passe d’accompagnement à instrument principal.

Autrement dit, un joyeux bazar, où il fait bon se laisser prendre au jeu. De toute manière, le spectateur n’a pas trop le choix : il est constamment mis à contribution, pris à parti et mis à l’ordre par les deux Ténors/Maitres de Cérémonie qui assurent le rythme soutenu de la soirée. Aucune pause, aucun temps morts, même dans les moments plus calmes, l’intensité dramatique est tellement palpable qu’on ne peut relâcher son souffle, comme le Génie du King Arthur de Purcell que Nomi avait immortalisé avec Cold Song.

Splendeur avant la Chute

Car finalement, le fil conducteur de cette soirée, plus que Klaus Nomi lui-même, c’est cette énergie omniprésente, cette tension permanente qui nous rappelle que « quelque belle que soit la fin, on jette un peu de terre et en voilà pour jamais » (Pascal, Pensées). En témoigne le choix des pièces interprétées : The Cold Song (King Arthur, Henry Purcell) The Witch is Dead (Wizard of Oz, Harlod Harlen) Requiem for a Party Girl (Patria III, Murray Schaffer), Dido’s Lament (Dido and Aeneas, Henry Purcell). L’ombre de la mort plane sur chacune de ces œuvres, implacable et omniprésente.

On la met sous les feux des projecteurs pour tenter de l’apprivoiser, et on tente désespérément de la cerner. On essaye même parfois d’y échapper ou de s’en cacher. Parfois même on la devance, et on finit par lui faire face. Du burlesque au tragique il n’y a qu’un pas, que l’ensemble Télémaque fait en douceur. Lentement, l’oratorio burlesque se métamorphose en élégie funeste et les larmes de rire se voilent de tristesse. Le concert qui s’achève sur « la mort de Didon » résonne comme un chant du signe dans le Théâtre des Bouffes et nous laisse bête devant l’efficacité d’autant de simplicité.

Ramener Nomi à son essence, le dépouiller de ses artifices clinquants et voir derrière le masque pour en tirer son énergie la plus sincère, voilà l’hommage le plus vibrant que l’on pouvait faire à ce desperate singer. Merci donc, l’ensemble Télémaque, d’avoir tout compris, mais surtout de l’avoir transmis.

Crédits photo : Stéphanie Kastner (www.stephaniekastner.book.fr)

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